Cet interview fait suite à un premier échange que nous avons eu avec AGIR (Agro-Alimentaire Innovation Recherche) dans le cadre de leur formation sur les stratégies de substitution et le clean-label. Le « sans additifs » est le pilier même de la tendance du clean label et il génère de nombreux défis en reformulation. Mathieu Delample et Martine Crépin répondent à nos questions.
Il semblerait que certains extraits d’acérola pourraient remplacer l’acide ascorbique dans les produits de BVP (boulangerie, viennoiserie, pâtisserie). Ou que l’extrait de romarin pourrait éviter le rancissement des produit carnés. Quelles sont les étapes pour remplacer un additif par un extrait naturel comme ceux-là ?
Mathieu : Si on devait résumer la marche à suivre pour remplacer un additif par un extrait naturel, cela serait :
- Comprendre la techno-fonctionnalité de l’additif et anticiper sa mise en œuvre
- Effectuer des projets de recherches pour identifier des molécules actives
- Vérifier leur innocuité
- Demander une autorisation, si nécessaire.
Pour reprendre vos deux exemples, ce sont là deux molécules différentes réunies sous le grand chapeau des conservateurs qui peuvent être des antioxydants, anti-brunissement ou des conservateurs anti-microbiens. Ils font partis des nombreux ingrédients qui ont des propriétés cachées et qui sont en train d’être découvert.
Il est vraiment essentiel pour un industriel qui souhaite adopter la stratégie clean label de comprendre comment et pourquoi on utilise les additifs. Si celui-ci est mal employé, on perd la fonction recherchée. Puis, il faut raisonner l’utilisation des additifs (est-il nécessaire ? sa teneur peut-elle être diminuée ?). Enfin il est alors possible d’envisager les nouvelles molécules de substitution, de comprendre leur fonctionnalité et propriétés.
Comment et pourquoi on s’est tourné vers ces ingrédients plus naturels en étant de plus en plus critiques sur les additifs ?
Mathieu et Martine : Il faut tenir compte du fait que le consommateur se méfie plus et scrute les étiquettes. C’est sûrement en raison des grandes crises alimentaires qui ont marqué les esprits. Le consommateur voit des codes E, des noms chimiques : ça lui fait peur. Même si les quantités sont limitées, le fait même qu’il y ait une limitation veut dire qu’il y a un risque potentiel et ça aussi c’est anxiogène pour le consommateur.
Pourtant la science et les technologies ont évolué pour détecter la toxicité, et la métabolisation et l’assimilation sont mieux appréhendées ce qui a permis d’affiner les seuils de consommation et donc les doses d’emploi dans les produits à ne pas dépasser. L’innocuité de ces nouvelles molécules est vérifiée par tout un circuit de contrôle. Pour les additifs il n’y pas de risques aux quantités utilisées, mais entre un ingrédient dont la teneur n’est pas limitée et un additif qui n’est autorisé que dans certains produits et à des teneurs maximales imposées la préférence du consommateur va à l’ingrédient.
Dans certains produits se revendiquant « clean », il peut y avoir des additifs, mais ces derniers sont associés à des explications ou justifications. Par exemple sur l’étiquette d’une mousse au chocolat : la carraghénane est bien acceptée lorsqu’elle est accompagnée d’un argumentaire marketing sur l’origine végétale et naturelle de l’additif (une algue). Cette démarche d’expliquer d’où vient l’additif et pourquoi il est nécessaire relève cette fois-ci du clear label (plus de transparence pour le consommateur).
Que pensez-vous des applications comme Yuka qui assistent les consommateurs dans les choix de leurs produits ?
Martine : D’une façon générale, on peut se poser la question du mode de calcul de la note attribuée au produit : sur quelles bases scientifiques s’appuie-t-il ? Quelle est la part de subjectif ? Un bon outil doit être objectif et sa clé de calcul doit s’appuyer sur des connaissances scientifiques.
Ça inquiète certaines entreprises car ces systèmes de notation influencent le choix du consommateur, comme le Nutriscore, qui a aussi ses limites. Par exemple, un sirop sans sucres et contenant des additifs destinés à rétablir la texture, le goût et la durée de conservation sera mieux noté qu’un produit traditionnel, qui lui est clean label. Il faut certainement rétablir l’équilibre des consommations pour trouver un meilleur compromis : une consommation de sucre plus rationnelle. Les produits dont les teneurs en sucre ont été raisonnées lorsque la matrice s’y prête y ont toute leur place…
Les produits végétaux semblent également avoir de plus en plus la côte et être privilégiés dans le cadre des reformulations. Quels sont les verrous technologiques majeurs liés aux protéines végétales dans le secteur industriel de la pâtisserie et de la biscuiterie ?
Mathieu : J’aborde ce sujet crucial dans la formation. La protéine n’est pas un additif mais un ingrédient qui a des propriétés très intéressantes de stabilisation et de texturation en plus de ses apports nutritionnels. Le problème c’est que les protéines animales et végétales sont différentes : il est compliqué de les substituer directement l’une par l’autre et dans l’idéal il faut un apport conjoint des deux origines de protéines. On peut noter par exemple, qu’il faut porter attention au niveau de purification des protéines car cela joue sur la texture et les propriétés sensorielles du produit (les protéines végétales ont souvent une teneur en protéine pure plus faible liée aux résidus). Les goûts liés aux protéines végétales sont très particuliers il faut appliquer le juste dosage Il faut donc être précautionneux et vraiment tenir compte de tous les aspects y compris nutritionnels (composition en acides aminés, biodisponibilité…).
Pour continuer à en savoir plus sur les enjeux en agroalimentaire en lien avec la tendance clean label, nous avons décidé de poser plus de questions à Martine et Mathieu sur l’amélioration des profils nutritionnels en jouant sur la teneur en sucre et la teneur en matière grasse, mais aussi sur la mise en place de procédé de transformation plus simple pour plus de transparence auprès du consommateur. Lire la suite
Une interview de :
AGIR (Agro-Alimentaire Innovation Recherche), situé à Talence près de Bordeaux au service des industriels : Pour qu’innovation rime avec solutions…