Philippe Mauguin, le directeur de l’INRA, a défini l’alimentation saine et durable au niveau mondial dans une table ronde organisée par AgroParisTech Alumni. Selon lui, il s’agit d’une alimentation disponible pour tous qui répond en quantité et qualité aux besoins nutritionnels des êtres humains (ni trop, ni trop peu), produite au niveau de l’agriculture et de la transformation en optimisant et en respectant les ressources naturelles (eau, sol, air) en veillant à préserver la biodiversité et en limitant les effets du changement climatique.
Repenser notre système alimentaire d’ici 2050, sans pour autant épuiser les ressources, est un réel challenge pour répondre aux besoins d’une population qui atteindra les 9,7 milliards voire 10 milliards d’habitants. Chaque année 0.6 à 1.9% des terres sont rendues incultivables, la biodiversité s’effondre, un constat dramatique. Et si une partie de la solution était dans nos assiettes ?
Le rapport EAT-Lancet : des recommandations pour plus de durabilité
Début 2019, la commission Eat-Lancet composée d’experts du monde entier a publié un rapport mettant en avant un régime sain qui serait à favoriser pour la durabilité de notre système.
Les experts ont considéré l’impact de notre alimentation sur 5 sorties distinctes : emissions de gaz à effet de serre, changement d’usage des sols, cycles d’eau, application d’azote, application de phosphore, perte de biodiversité. Ils ont également considéré l’intérêt nutritionnel du régime.
Un modèle alimentaire pour des régimes sains au pluriel
Bien qu’il n’existe aucune étude montrant l’existence d’un régime planétaire, EAT propose une base sur laquelle se reposer pour repenser la composition de notre assiette. Voici les 3 piliers de ce modèle :
- Plus de végétal et moins d’animal : la moitié de l’assiette doit être remplie de légumes, et un quart de protéines avec au moins la moitié d’origine végétale (légumineuses…). Une forte réduction de consommation de viandes, en particulier de la viande rouge est préconisée.
- Privilégier les graisses insaturées aux graisses saturées : le retour des oléagineux, et des huiles insaturées qui devraient représenter 1/8 de notre assiette. Même si les consommateurs commencent à avoir conscience des bienfaits nutritionnels de choisir ses matières grasses, intégrer les oléagineux dans notre assiette est encore une démarche trop peu fréquente.
- Eviter les céréales raffinées, limiter les aliments ultra-transformés et les sucres ajoutés et ce pour des raisons nutritionnelles mais aussi de consommation énergétique et de gaspillage alimentaire. Les grains complets doivent représenter seulement 1/3 de notre menu.
Un modèle alimentaire globalement en accord avec les recommandations nutritionnelles du PNNS 4 dévoilées la semaine dernière.
Et en pratique est-ce que tout le monde peut suivre ce modèle ?
Il serait absurde de faire manger à tous la même chose. Il s’agit bien d’un modèle déclinable selon les régions, les ressources disponibles et les systèmes de production. Prenez un pays où les systèmes agropastoraux constituent une ressource majeure de revenu mais aussi de micro et macronutriments essentiels, il est difficile de diminuer drastiquement la part de protéines animales. À chaque pays, voire chaque région de relever le challenge en adaptant les régimes. Ce qui est certain c’est que ce modèle offre tout de même une marge de manœuvre pour respecter cultures et environnement.
Vers une refonte de notre système alimentaire
Une transition de notre mode d’alimentation s’accompagnera forcément de nouvelles initiatives tout au long de la chaîne de production alimentaire. À commencer par les méthodes d’agricultures, il existe une multitude d’alternatives florissantes (l’agroécologie, l’agroforesterie, la biodynamie) : des méthodes qui permettent de maintenir la biodiversité tout en produisant. Comme le souligne le rapport il s’agit de « réorienter les priorités agricoles d’une production de quantités à une production de qualité ». Le but est de parvenir à produire pour tous sans épuiser nos sols en raisonnant la consommation d’engrais, en alternant les cultures, en assurant au sol son rôle de puits de carbone.
Les décisions des méthodes agricoles se feront tout de même à l’échelle de chaque pays selon le climat, l’environnement et l’état actuel de l’agriculture. Le rapport Eat rappelle qu’il est nécessaire d’avoir une gouvernance mondiale pour l’exploitation des terres et des océans : le but est de préserver la biodiversité d’une surexploitation des ressources dans un contexte de compétitivité mondiale.
Enfin ce nouveau modèle s’accompagne aussi d’une diminution du gaspillage alimentaire. 30% de la production agricole est perdue après récolte dans les pays du Sud et 30% de la production alimentaire est perdue après-vente au Nord. Une absurdité qui pousse à la réflexion. Comment assurer le stockage des ressources, la meilleure distribution des denrées, l’éducation du consommateur ? Il existe des démarches tout au long de la chaîne d’approvisionnement qu’il faut continuer de soutenir à l’échelle individuelle et collective.
Un rapport qui vient conforter les recommandations actuelles de la FAO mais aussi les conclusions du rapport AgriMonde-Terra de l’INRA et du CIRAD. Il est certain que la prise de conscience des consommateurs influencera l’offre agro-alimentaire de demain avec des engagements qualités et RSE plus forts de la part des industriels.
Chacune à son échelle, les start-ups innovent avec un marketing éco-responsable qui séduit le consommateur, et les plus grosses entreprises n’hésitent pas à communiquer sur leurs engagements.