Agriculture cellulaire, viande cultivée, viande in vitro, viande artificielle, viande de 4ème génération… Quel que soit le petit nom qu’on choisit de lui donner, il s’agit de la culture in vitro de chaire animale. L’intérêt ? Proposer une alternative à la viande traditionnelle en gommant les limites rencontrées par l’élevage : effets négatifs sur l’environnement, abattage et mauvaises conditions de l’élevage industriel.
Science-fiction ou part réelle de notre assiette de demain ? Alors que Singapour a été le premier pays à autoriser la vente d’une viande de poulet cultivée in vitro fin 2020, le débat commence à faire rage dans notre société.
Pour se plonger dans cette thématique passionnante, partons à la rencontre de Nathalie Rolland, spécialiste du sujet et co-fondatrice de l’association Agriculture Cellulaire France.
Bonjour Nathalie, avec vos mots, qu’est-ce qu’est la viande cultivée ?
Bonjour ! Il s’agit du développement de chaire animale à partir de cellules d’animaux. On reproduit dans une machine le process de fabrication d’un muscle qui se crée dans un animal. On peut le faire avec différents types de cellules : graisses, muscles ou tissu conjonctif. L’idée est de reproduire de la viande pour répondre aux attentes des consommateurs sans abîmer l’environnement.
Quelle est l’ambition d’Agriculture Cellulaire France ?
Notre association a pour vocation d’informer et d’alimenter la réflexion autour de l’agriculture cellulaire en France, d’ouvrir le débat. C’est un point de rassemblement pour tous les gens qui s’intéressent au sujet. Nous travaillons sur la viande cultivée mais aussi sur les protéines de lait, d’œuf, et la gélatine développées à partir de micro-organismes. L’association a un peu plus d’un an et notre travail avance en fonction des opportunités que l’on rencontre et des gens qui viennent à nous : les entreprises, comme plein d’autres acteurs : chercheurs, vétérinaires, etc.
Pourquoi est-il important d’avoir une telle association ?
Nous avons créé Agriculture Cellulaire France quand le sujet de la viande cultivée n’était pas connu du tout. Il nous tenait à cœur de participer à trouver des solutions complémentaire à l’élevage industriel et ses dérives. Or il se dit dans le milieu international que les Français seront les plus difficiles à convaincre (nous sommes assez conservateurs !). Il nous a alors paru utile d’aider à ce que les choses aillent dans le bon sens dans notre pays.
La France est en train de prendre du retard sur le sujet. La recherche n’est pas assez engagée, les autres pays du monde et d’Europe sont plus en avance, notamment les Pays Bas. La raison donnée est qu’il ne peut pas y avoir assez de contrôles, mais comment mettre en place des systèmes de contrôles si on n’a pas de projets de recherche à contrôler ?
Avec ce retard, nous craignons que les Français ne consomment que des produits qui viennent d’ailleurs. Ce serait dommage ! Notre association est donc là pour mettre en avant prioritairement ce qu’il se passe en France, puis plus largement en Europe. Vous pouvez être étonnés que l’on parle peu de ce qu’il se passe aux Etats-Unis ? C’est pour contrebalancer le fait que tout le monde parle des entreprises américaines. Je trouve ça dangereux, ça fait penser que c’est un concept américain, loin de chez nous, créé dans le pays de la malbouffe. Alors que pas du tout : le concept est né aux Pays-Bas ! Même si les Américains travaillent aujourd’hui beaucoup le sujet car ils sont très impliqués dans l’alimentation durable et investissent dans la foodtech.
Justement, quelle est la place de la France dans ce nouveau marché ?
Nous sommes en train de prendre du retard à cause de craintes non fondées. Nous avons principalement des blocages politiques, le ministère de l’agriculture est réfractaire. Pour preuve : la viande cultivée a déjà été interdite dans les cantines… Alors que les produits n’existent pas encore ! C’est aberrant. A mon avis c’est un amendement liberticide et anti-écologique, comme j’ai expliqué dans une tribune rédigée dans Le Monde le 21 avril.
Il est fort probable que ce blocage politique vient des lobbys d’éleveurs, très puissants, très riches et très proches de la sphère politique en France. Cette position surprend beaucoup de pays et nous passons pour un pays « vieux-jeu ».
Il faudrait au contraire arrêter d’opposer les modèles, la viande de culture propose une voie complémentaire à l’élevage pour élargir l’offre en produits animaux dont la consommation mondiale est en train de fortement augmenter.
Au niveau des entreprises c’est plus avancé, plusieurs start-ups françaises travaillent le sujet. Je peux citer Vital Meat, qui développe de la volaille (poulet et canard), et Gourmey, qui se concentre sur du foie gras. D’autres pourraient travailler sur des projets encore secrets.
Le risque est qu’ils aillent développer leur savoir-faire dans d’autre pays si la France n’évolue pas !
Et les grands groupes ?
Les grands groupes regardent ce qu’il se passe, ils se renseignent et pourraient racheter plus tard les start-ups qui auront créé le marché. Quand le sujet sera plus largement connu et accepté.
Quels sont les avis des consommateurs sur la viande cultivée ? Et ceux des industriels ?
Côté industriels, le monde de l’agro est très intéressé de voir apparaître de nouvelles solutions pour diminuer l’utilisation de la viande conventionnelle dans les produits. Le sujet de la viande cultivée intéresse beaucoup. Surtout depuis l’introduction en bourse de Beyond Meat, il y a clairement un avant et un après !
De leur côté, les consommateurs sont très peu informés. Ils n’en pensent donc pas grand-chose pour le moment… C’est un sujet très récent et technique qui peut paraitre complexe, c’est d’ailleurs pour ça qu’au sein de l’association nous nous appliquons à transcrire les choses de manière simple et compréhensible par le plus grand nombre. Tout le monde n’a pas fait un doctorat en biologie cellulaire ! En 2017 j’ai mené une étude sur 200 personnes pour étudier l’acceptation par le grand public. Conclusion, le concept de la viande cultivée peut paraître surprenant, et le sujet de la « non-naturalité » revient souvent.
Il y a un réel effet de génération. Les plus jeunes sont les plus sensibles aux questions écologiques et aussi les plus ouverts aux solutions innovantes.
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